Écrits

Ainsi, la pratique de la gomme bichromatée en photographie comme moyen, outil ou technique – comme il vous plaira – est ici au service d’un sujet qui nous parle de passage, de transport ou de « crossing line ».

Regarder ces images, c’est plonger au fond de ton iris là où se reflète le rite initiatique, celui qui, comme le dira Warburg, fera peut être de nous des hommes.

Quelle belle magie, de savoir transmuer un peu de matière, de jouer numérique, chimies, bain, révélation… pour qu’apparaisse l’image d’une réalité prolongée, aux multiples dimensions.
Quel tour de force de parvenir ainsi à mettre tous nos fantômes de ton côté.

Ta poudre de fée, tu l’appelles gomme bichromatée. Parfait.
Je t’imagine, belle Artemisia dans ton laboratoire aux milles potions, aux milles outils du peintre. Pas de cornues sifflantes, ni d’étranges marmitons bouillonnant mais des pigments, des négatifs, des bacs.
Tes images se superposent successivement en couches colorées, successivement en couches insolées puis dépouillées. Autant de gestes alchimistes.
Sorcière ou magicienne ? Grande prêtresse païenne qui se joue des strates du temps.

Faut-il entendre « Embaumeuse » ?
Qui gratte, qui frotte, qui creuse l’image.
L’image qui comme un corps, sous les imparables coups de tes outils dévoile la fragilité de sa matière, son impermanence. Il suffirait d’un geste pour que tout disparaisse.
S’agit-il d’un nouveau rituel funéraire ?
Acceptons dès lors de croire à l’immortalité des images...
Ou à la photographie comme technique de conservation des corps !

Du chemin qui mène à la mort physique jusqu’à la Résurrection définitive, quel insolence !! Quel pied de nez à la disparition. Tu nous donnes à voir là ta toute puissance !! Toute puissance de l’image !! Toute Puissance de Narcisse !!!
Ah ! Ah ! Ah ! Elle n’a plus qu’à se tenir tranquille la Faucheuse, que lui reste-t-il à prendre ici ? Celui qui regarde ?
Mais moi, Madame, je suis si vivante quand je regarde !

Cette décomposition dans le temps de lecture est un accès à la réflexion. Percevoir, voir, regarder, penser… Voyager en ces territoires c’est un supplément d’âme assuré ! Imparable.

Sur « Territoires Augmentés », tu délimites des zones de travail, me dis-tu ? Pulvérisation, dissipation, effacement… Stalker !
Quelle étrange météorite est venue s’écraser dans ces zones ? Quel secret ? Quelle mystérieuse « chambre des désirs » contient-il, ce territoire bizarre défini par une accumulation d’impressions ?
C’est toi le Stalker, comme le passeur initiateur de Tarkovski, tu conduis les hommes au cœur de la zone dans cette chambre où tous les vœux seraient exhaussés.
Tes images sont autant de miroirs dont les reflets sans complaisance nous rappellent à notre désir le plus précieux : déjouer la mort.

Ne jamais disparaître, jamais, jamais et poursuivre pour l’éternité le conte magnifique de la femme sans nom qui la première dans les ténèbres souterraines a donné un corps à l’humanité - un corps !
Vera icône de nos désirs assumés maintenant, parce que regardés « en face », tu nous offres la reconstruction possible, la réparation narcissique ultime : « L’irrationalité rédemptrice qui détruit l’empire de la raison mais qui sauve l’âme » - Tarkovski.

Comme lui, tu nous coupes du monde réel et concret pour nous renvoyer aux origines, un parcours initiatique au rythme de lecture lent, tendu et presque hallucinatoire. Comme lui, Tarkovski, comme Elle, la première femme, tu nous murmures : « Si nous voulons éviter l’apocalypse, il faut réparer cette rupture avec la nature… »

Il, Elle… à eux, à toi mon Stalker, je veux dire merci.

Céline Cauchois

"L'inaliénable patrimoine héréditaire se trouve mobilisé sur le mode mnémonique, non pas cependant comme une force essentiellement protectrice : la violence déchaînée des passions et des terreurs du croyant bouleversé par l'expérience du mystère religieux se répercute dans l'œuvre d'art et en marque le style, de même que, de son côté, la science comptabilisante conserve et transmet la structure rythmique dans laquelle les monstres de l'imagination deviennent des maîtres de vie et des architectes de l'avenir. Pour éclairer les phases critiques de ce processus, il y aurait encore beaucoup à tirer de la connaissance de la fonction polaire qui fait osciller la création artistique entre l'imagination et la raison ; on n'a pas pleinement exploité, en particulier, l'immense matériau documentaire qu'offrent à cet égard les images formées par l'homme."

Aby Warburg, Mnemosyne (introduction),
P.O.L, Revue Trafic n°9, Hiver 1994, p. 38.